C e sont
ces accents chauds que les musiciens grecs ne manquent pas d'entonner
lors de fêtes quand le ouzo a bien réchauffé les
gosiers et que les mézédès ont été avalés
avec délice…
Chant lointain, venu des années 30 du siècle
dernier, il ouvre tout le florilège des chansons rébètes
aux thèmes lourds de tragédies quotidiennes ainsi
que le répertoire plus récent et peut-être
un peu plus enjoué, mieux connu du public occidental.
La mer et le soleil, les îles et les plages
oniriques, une langue dont l'origine se perd dans la nuit des temps
indo-européens, des visages frais ou ridés et porteurs
de tant de mémoire… et la musique… cette musique
aux lancinances vives, prêtes à faire éclater
le cœur à la moindre croche pointée… Voilà la
Grèce que cherchent, que voient, ceux qui l'invitent à leur
table, donnant ainsi raison au poète (Alfred de Musset) qui
scandait au XIXe siècle « La
Grèce, Ô ma Mère, où le miel est si
doux… »
Mais un siècle après un autre poète,
grec celui-là et bien au fait des réalités
de cette Mère aimée, répondait :
Elle a illuminé les rêves de bien d'artistes
et de sages occidentaux, cette Hellade, Mère de ce même
Occident et Génitrice de la Pensée, des Arts et des
Sciences ! Mais dans ces imaginaires, nul — sinon
les historiens — ne percevait ce catafalque lourd et
sombre qui maintenait le peuple grec en esclavage. Et ceci dura
près de quatre siècles.
Lorsqu'Alfred de Musset s'extasiait ainsi, le miel
ne semblait donc pas si suave aux palais des Grecs qui combattaient
pour l'indépendance de leur patrie : la Grèce,
partie de l'Empire byzantin, était tombée, en effet,
en 1453 sous le joug ottoman et ne recouvrit sa liberté (le
sud de la péninsule et les Cyclades) qu'en 1821.
Une autre servitude attendait ce dernier après
son indépendance : l'oppression d'une classe possédante
aux fondements claniques qui contribua à semer en Grèce
la pauvreté et à ériger pour les Grecs l'exil
comme règle de survie. « Ces
paroles mensongères, tu me les a distillées avec
ton premier lait, ô ma Mère, la Grèce… toi,
fausse mendiante, qui me traînes dans les bazars… » continue
d'égrener la chanson…
Misère, exil, révolte et désespoir
que seul l'amour pourrait illuminer s'il était heureux,
fuite dans des univers artificiels par l'alcool et divers narcotiques…tels
sont les thèmes que la chanson grecque, appelée « rébètika »,
abordera dès la fin du XIXe siècle
jusqu'au milieu du siècle suivant, un peu après la
guerre civile (1946).
Vous êtes-vous demandé pourquoi une
tristesse pudique voile les yeux des musiciens grecs ? et
même des Grecs en général ? Cherchez bien… c'est
dans l'Histoire tragique de la Grèce — pour ne
pas dire de l'Humanité — que gît la source
de la mélancolie… Cette Mélancolie (mot
si « grec » !), faite de « bile
couleur d'encre » que les Anciens déjà décrivirent
si bien.
Si toutefois de nos jours la misère, l'exil
et la révolte sont beaucoup moins évoqués
dans les chansons (les années « 60 » du
siècle dernier ont vu, en effet, le commencement d'une floraison économique
en Grèce), l'amour, avec toute la sensualité et
les ardeurs qu'attisent un climat et un tempérament brûlants,
est exalté a chaque ritournelle, rengaine, cantilène,
chant, poème ; chaque rythme et claquement des doigts ne
revient que pour souligner la marque de cette fatalité suprême
: seul l'amour, qu'il soit heureux ou malheureux, fait le bonheur
des êtres. |